Point de Suture (Critique)
Après un premier extrait culotté et mitigé, le nouveau Farmer allait-il séduire ?
MYLENE FARMER – Point de Suture
Nombre de plages : 10
Format : édition limitée digipack
Sortie : 25/08/2008
Cote d’amour : ****
Ce qu’on peut dire après une première écoute (forcément fébrile), c’est que d’une part Dégénération annonçait bien la tendance de l’album (plus électro, comme promis par la chanteuse lors de son interview dans Paris Match) et que d’autre part, c’est sans doute parmi les chansons les plus faibles de ce nouvel opus. Une bonne nouvelle pour ceux qui n’y auraient pas accroché et qui doutaient de l’album. Un choix qu’on pouvait déjà percevoir comme osé (par rapport aux autres singles de la chanteuse) et c’est une impression qui se confirme ici puisque Dégénération est à Point de Suture ce qu’Agnus Dei était à L’Autre par exemple. Une chanson déstructurée, répétitive et longue. Bref, on peut se demander pourquoi un tel choix (ce qui n’est pas forcément mauvais en soit, mais je préfère Agnus Dei par exemple). Surtout que d’un point de vue strictement commercial, il y avait un titre tout trouvé qui aurait pu cartonner et qui sonne finalement très « tube de l’été » (et Farmer, qui plus est). Cette chanson, c’est Sextonik au refrain facile et addictif, parfait pour les boîtes, avec un côté coquin, chaud (on peut y percevoir qu’elle parle des plaisirs solitaires avec un certain accessoire !!) et aussi électro que Dégénération, le texte en plus ! D’ailleurs, c’est ce qui frappe pas mal. L’album est très dansant. Axé sur le up/mid-tempo, des chansons comme C’est Dans l’Air, Je M’ennuie, Réveiller le Monde ou Sextonik devraient faire bouger le public des fosses de la tournée de la rousse. Donc côté prochain single, on devrait avoir le choix, puisque l’album contient ce qu’il faut de chansons suffisamment accrocheuses et s’avère de plutôt bonne qualité. Cela étant dit, Sextonik n’est pas ma chanson préférée, mais je pense qu’elle peut faire son effet.
Du côté des très bonnes chansons, je pense qu’elles sont pour la plupart dans la première moitié de l’album. Appelle mon Numéro est par exemple celle qui a accroché mon oreille dès la première écoute. Entre Moi… Lolita (voir le 2ème couplet : « à la folie j’ai l’a… llo/qui me dit : au lit, là !/L’embellie c’est l’o…/reiller de rêve ») et Dans les Rues de Londres (au niveau du rythme cette fois-ci). Je M’ennuie et Paradis Inanimé reviennent aux « fondamentaux » des textes de Farmer et se révèlent être deux nouvelles approches réussies où les titres sont suffisamment éloquents pour savoir de quoi ils parlent ! On retrouve dans ces deux chansons le style Farmer des beaux jours, avec jeux de mots, consonances et autres. Le tout supporté par un beau verbe. Quant au duo avec Moby, c’est une autre bonne surprise. D’une part parce que c’est totalement (ou presque) inattendu (rien à filtrer sur un éventuel duo pour cet album, ce qui est assez incroyable !) et d’autre part, parce que la chanson est réussie, différente du duo avec Seal (Les Mots), bien que reprenant la structure franco-anglaise (généralement de mise avec les duo internationaux). Un Moby qu’on reconnaît à peine avec sa voix grave pour cette chanson pouvant inspirer un petit malaise (dont je suis tout à fait fan). Quant au reste des chansons, après quelques écoutes, on est convaincu que le tandem Farmer/Boutonnat sait encore proposer de bonnes choses, autant d’un point de vue musical que des paroles, bien que cela reste dans la même veine de ce qu’on connaît.
Justement, attardons-nous un peu sur les textes (et la musique par la force des choses), puisque Point de Suture est sans doute celui qui fait le moins appel à la systématisation de la construction des chansons. Les fans connaissent bien le fameux : couplet/refrain/couplet/refrain/pont/refrain x2. C’est toujours de mise ici (et, a priori, c’est plutôt une bonne structure et une structure que j’apprécie) mais on a le droit à plus de variations. Dégénération en est évidemment l’exemple le plus flagrant mais il y a aussi Looking For My Name (le fameux duo avec Moby donc) dont tous les couplets sont à suivre (au refrain tardif donc), Paradis Inanimé avec trois phrases en plus dans la premier couplet ou encore C’est Dans l’Air qui n’a pas de pont ! Des petites différences qui la font justement. Quant à la musique tout ne sonne pas aussi électro que Dégénération (fort heureusement). On retrouve même des passages réussis à la guitare que l’on doit pour la plupart à Sébastien Chouard (les fans de De Palmas reconnaîtront ce nom). Le final de Si j’avais au moins… est, à ce titre, superbe. Et tant mieux, parce que tout n’est pas forcément réussi d’un point de vue son. Certains ont tendance à faire un peu toc ou périmés (dans Dégénération et dans C’est Dans l’Air).
On pourra aussi émettre quelques réserves sur certains textes. Les deux exemples qui me viennent à l’esprit sont forcément Réveiller le Monde et C’est dans l’Air. Deux chansons qui semblent, a priori, sortir du cadre plus intime de la plupart des chansons de la rouquine pour s’en aller vers des contrées plus… Hum pas franchement « engagées » mais qui veulent faire passer un message en tout cas. Sauf que franchement, c’est un peu exprimé de manière… Comment dire sans être trop méchant ? Cucul ou concon, au choix ! Ainsi dans Réveiller le Monde, le refrain est vraiment maladroit dans cet appel à faire bouger les choses sur notre situation actuelle et notre avenir : « Réveiller le monde/Rêver d’un autre « été »/Etre doit répondre/Réveiller l’humanité/Révolus les mondes/Sans une révolution/J’appelle au grand nombre/Le droit d’aimer ». La fin sonne très collégienne. C’est louable, mais pas des plus réussis (Zazie réussit mieux ce genre d’exercice). Quant à C’est Dans l’Air, c’est plutôt les couplets qui pêchent : « Vanité… c’est laid/Trahison… c’est laid/Lâcheté… c’est laid/Délation… c’est laid » […] « Les cabossés vous dérangent/Tous les fêlés sont des anges/Les opprimés vous démangent/Les mal-aimé qui les venge ? ». Ouais, bon, je crois qu’on a compris, « la guerre c’est maaal ». Mais cette chanson est sauvée par son refrain dévastateur (si, si, rien que ça) qui est totalement addictif et dont les paroles sont plus enlevées même si elle n’arrête pas de répéter que « c’est dans l’air » (de la chanson ? « C’est dans l’air/C’est dans l’air/C’est dans l’air, c’est nucléaire/On s’en fout/On est tout/On finira au fond du trou »).
Cet album est donc finalement à la fois une avancée (minime, certes), marqué par un style musical plus appuyé (comme pour Anamorphosée) et un retour aux sources. Retour aux sources au niveau des paroles qui redeviennent, plus abstraites et poétiques que dans Avant Que l’Ombre… (fini les gros mots, même en anglais), où Mylène Farmer revient aux allusions plutôt qu’à l’explicitation et à un langage plus châtié. Ce qui est aussi valable pour sa façon de chanter puisqu’elle revient aux aigus qui font fuir ses détracteurs (alors que l’album précédent était dans des tons beaucoup plus graves). La chanson bonus en donne d’ailleurs un très bon aperçu !
Enfin, parlons packaging. Une chose que l’on peut pas mal critiquer ici. Non pas à cause du choix des photos, qui sont superbes (et signées du photographe Japonais Atsushi Tani), même si elles ne mettent qu’en scène la poupée suturée de Mylène (et les esprits chagrins n’apprécieront pas forcément) mais plus à cause du livret fait avec les pieds. Déjà, on sentait Henry Neu fatigué sur Avant Que l’Ombre… Et il ne s’est pas franchement repris depuis, on reste dans la même veine. Déjà, on retrouve les tons noirs et rouges (alors qu’on aurait pu aller dans des tons plus dorés/rouillés, comme les instruments chirurgicaux présents sur la pochette). Ensuite, les photos ne sont pas mises en valeur, on dirait le premier album d’Alizée avec ces cadres. C’est fait sans une once d’originalité alors même que la thématique du nom de l’album et des photos offrait une énorme possibilité créative de cadres et de fonds. Où est passé celui qui a conçu le livret d’Innamoramento (un bijou) ? Un potentiel gâché, pas rattrapé par les paroles qui sont mises dans un désordre sans nom (et rien de plus agaçant que de devoir passer son temps à chercher où sont les paroles quand on suit l’album pour la première fois) et dont les refrains se retrouvent souvent en fin de texte (alors là, pareil, vous n’y comprenez plus rien). Pour parachever le côté un peu médiocre du tout, l’édition digipack est peu pratique (ah, où qu’il est le disque ? Où qu’il est ? Comme pour les singles pardi, sauf que c’est sur le côté !) et finalement assez moche… Ca manque de volume. C’est tout plat. On dirait un single de luxe plus qu’un album (et le côté cartonné n’y change pas grand chose). A ce niveau-là, je crois que l’édition cristal (boîtier normal donc) est un aussi bon choix (pas de clip pour cette édition, mais bon, vu que c’est du QuickTime et qu’il y aura sûrement un dvd plus tard, c’est pas une grosse perte en soit).
Donc au final, on a un album différent d’Avant que l’ombre… (bousculé par les fans) qui revient aux fondamentaux (et dans la voix et dans les textes), tout en cherchant la nouveauté (autant musicale que dans la construction mais aussi par rapport aux visuels dans un genre totalement inédit pour la chanteuse). Bref, c’est du changement dans la continuité ! Ca reste tout de même du Farmer. Et en même temps, je crois qu’on ne demande pas autre chose (et avoir un style reconnaissable, c’est le lot de beaucoup d’artistes qui écrivent et composent eux-mêmes). Et comme c’est du bon Farmer, on ne boude pas son plaisir. L’album, après une première écoute qui peut surprendre et laisser dubitatif, est très agréable et se révèle plutôt bon. Mis à part Dégénération qui pourra vite lasser, le reste devrait rester longtemps. On regrettera surtout le livret franchement pas réussi. A noter que l’album (dans sa version physique) contient une chanson cachée inattendue puisqu’il s’agit d’une reprise (toute aussi inattendue). C’est bien, parce que 10 chansons, je continue de penser que c’est léger pour un album (mais bon, de l’inédit… Du vrai, c’est mieux… Peut-être en bons pour un prochain single, ça fait longtemps…)
Mes coups de coeur de l'album :
*Appelle Mon Numéro
*Je M'ennuie
*Paradis Inanimé
*C'est Dans l'Air
Enfin, pour promouvoir l'album, Mylène Farmer était chez Claire Chazal. Une interview qui fera taire les esprits chagrins qui n'étaient pas content de la "seule interview" écrite accordée au magazine Têtu... Comme quoi, cette promo est vraiment différente de celle inexistante du précédent album. On y apprend pas grand chose (en même temps, difficile en quelques minutes), mais ça fait plaisir à voir...
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